©Patrick Grandgien 2002 - 2024 Tous droits Réservés  Dernière mise à jour le:  28 février 2024

Pour moi tout a commencé en 1982, à cette époque, je me suis retrouvé au chômage suite à une expérience dans une Radio Libre.

Or à ce moment-là je ne savais même pas que le Catering existait, et encore moins ce que c'était, j'avais seulement entendu parler d'une société qui s'appelait SODEXHO, mais sans savoir exactement ce qu'ils faisaient. A tout hasard j'ai envoyé mon C.V. à l'adresse que j'avais trouvée dans l'annuaire des entreprises à la poste. Et à cette époque, il y avait beaucoup de travail pour ces sociétés, et SODEXHO organisait des journées de recrutement en province dans les grandes villes. J'ai eu donc la chance de recevoir une réponse à mon courrier sous la forme d'une invitation à me rendre à Rennes pour une journée de recrutement.

Me voilà donc à Rennes, la séance était animée par la Directrice des ressources humaines et un superviseur de terrain. On nous présente la société, ses activités ses clients, et on nous montre des diapositives prises sur des bases vie, je dois avouer que j'ai été subjugué par la beauté de ces bases, de véritables petits villages, et bien entendu désireux de pouvoir voir cela de mes propres yeux. Je peux vous certifier que tout au long de ma carrière dans cette branche, la seule fois où j'ai vu de telles bases vie c'est bien ce jour-là, car ce que j'ai connu par la suite, n'avait rien de pareil, mais je vous en parlerais plus loin. Après la projection, chacun des candidats s'est présenté, et raconté son parcours.

Puis est venu le moment crucial, l'entretien particulier et j'avoue que je n'y étais pas préparé. Arrive mon tour, bien entendu les questions traditionnelles "parlez moi de vous", "qu'elles sont vos motivations" etc... Puis pour moi le piège, elle commence à me parler en anglais "give me a recipe in English", alors là je flippe, mon anglais tenait à ce que j'avais appris au collège et encore après plusieurs années sans pratique nul, je lui demande "Pouvez vous répéter" en français, elle me répond "donnez moi une recette en anglais". J'ai paré au plus pressé et je me suis lancé dans la recette du bœuf bourguignon, simple mais efficace. Elle m'a quand même conseillé de travailler mon anglais. Suite à l'entretien tout le monde est rentré chez soi avec espoir d'avoir rapidement une réponse.

Quelques semaines après, j'ai reçu deux propositions de départ. Soit partir sur une barge américaine au Gabon, soit partir en Irak sur un chantier de construction comme chef chargé. Comme l'Irak payait mieux j'ai opté pour celui-ci.

Première expérience

Me voilà donc parti pour ma première expérience à l'étranger, à l'aéroport je fais la connaissance de l'intendant qui me dirigera sur l'exploitation, et nous nous envolons direction Bagdad. Comme nous sommes arrivés un jeudi soir, bien entendu les bureaux de SODEXHO étaient fermés, on nous a donc installés dans une villa pour attendre le samedi que ceux-ci soient ouverts. Je vous assure que pour un début ce n’était pas très engageant, nous deux seuls dans une grande villa sans savoir ou aller, que faire.

Bref, arrive le samedi on vient nous chercher pour nous amener aux bureaux, là nous faisons connaissance avec le directeur de pays et celui-ci nous explique que nous allons prendre un taxi qui nous amènera à Mossoul dans le nord, bien nous voilà partis. Après plusieurs heures de route nous arrivons à la nuit tombante à Mossoul au camp de la Société Dumez qui comptait plusieurs milliers de personnes et qui servait de bureaux à SODEXHO. Là ce n'était déjà pas tout à fait ce que j'avais vu en photo mais ce n'était pas mal. Nous faisons connaissance avec le directeur de région, ainsi que du superviseur de projets qui nous expliquent ce que nous allons faire et où nous allons.

Nous sommes affectés sur le chantier de construction de 200 villas de la Compagnie Fougerolles à l'est du pays à quelques kilomètres de la frontière Syrienne au bord de l'Euphrate. Mais comme ce n'est que le début (période commando) nous serons installés dans des villas dans un petit village avec une dizaine d'expatriés qui eux construisent le pré base vie qui servira pour ceux qui viendront construire la base vie définitive, j'ai vu les plans et ça devait être plus beau que ce que j'avais vu en photo. Mais nous n'en étions encore pas là.

Le superviseur explique, Mr C. (intendant) vous allez rester ici à Mossoul afin de vous mettre au courant et organiser les futurs approvisionnements, vous Mr Grandgien vous allez partir sur le site avec 4 philippins pour vous aider. Merde je vais devoir me débrouiller seul alors que je ne sais même pas par ou je vais devoir commencer. Le lendemain matin je pars avec le superviseur suivis d'un camion frigo accompagnée par mes  philippins, après plusieurs heures de route (enfin si on peut appeler ça comme ça) nous arrivons dans ce petit village, une trentaine de villas, un boulanger, un épicier et une poste.

Je fais connaissance avec le directeur de projet qui m'emmène à la villa ou je vais travailler et dormir pendant un mois. Et là je rencontre le chef de la société CIR qui avait démarrée le contrat, mais n'ayant pas emporté l'appel d'offre j'étais venu le remplacer, lui était content de partir. Mon dieu, la cuisine comme à la maison, une petite cuisinière a gaz 4 feux, un four, un frigo et un congélateur bahut. Au rez-de-chaussée la cuisine et la salle à manger, et à l'étage une grande chambre ou nous dormirons moi et mes 4 employés et qui me servira de bureau pour faire ma gestion. Dans cette petite cuisine j'ai dû préparer le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner pour 20 personnes avec pas grand-chose comme vivres, en réalité ce que l'on pouvait trouver sur place en produits frais, légumes etc... Enfin pas grand-chose. Pour ce qui est de la viande ça se limitait au poulet et entrecôte Argentine, pourquoi ? Et bien comme Fougerolles n'avait pas encore de licence d'importation, on puisait dans le stock a Dumez, mais pour pas que cela se voit on puisait dans le camp philippin, comme ceux-ci ne mangeaient que poulet, bœuf et maquereaux c'est tout ce que l'on pouvait prendre.

Il nous fallait donc assurer la restauration, mais aussi l'hébergement à savoir faire le ménage, les lits des expats qui étaient repartis sur deux autres villas, et faire la blanchisserie. Bref un truc de fou, et pour une première fois j'étais servi, quoique par la suite j'ai connu pire.

Au bout d'un mois nous avons emménagé dans la pré base vie, là au moins j'avais une cuisine pro et une buanderie de même. J'ai eu de la chance avec mes clients qui n'étaient pas des rouspéteurs, bien au contraire au courant de la situation au sujet des vivres, tous les matins ils me demandaient: alors chef aujourd'hui le menu c'est bœuf à midi et poulet ce soir, et moi de leurs répondre: ah non aujourd'hui c'est exceptionnel, poulet à midi et bœuf ce soir. Ce à quoi ils rétorquaient "Super". Je dois avouer qu’au bout de deux mois je ne savais plus de quelle façon préparer le bœuf et le poulet, bien entendu nous avons eu trois ou quatre fois du maquereaux, et une ou deux fois nous avons pu acheter un mouton au village.

Si bien qu'au bout de deux mois j'ai craqué et j'ai décidé de partir. Le superviseur a bien essayé de me faire changer d'avis en me faisant comprendre qu'il ne me restait qu'un mois, que si je partais maintenant je n'aurais plus d'autre poste chez SODEXHO, mais je suis parti et c'est vrai qu'il me faudra attendre quelques années avant de retravailler pour eux.

Je pensais que j'en avais terminé avec le Catering, mais au bout de deux mois en France j'avais envie de repartir, j'avais attrapé le virus. J'ai eu la chance d'avoir une proposition d'une société qui s'appelait Campotel pour aller en Algérie. Cette société avait été créé par deux anciens cadres de SODEXHO, ce qui les a décidée à me prendre c'est la lettre de recommandation de m'avait fourni avant mon départ d'Irak le directeur de projet de Fougerolles qui avait apprécié mon travail. Et me voilà donc parti pour l'Algérie a Bejaia (Bougie du temps des Français).

Algérie 1983 – 1987      

Après avoir quitté l’Irak, je suis allé travailler dans une usine de produits surgelés tartes et quiches,  et bien que ce fut une expérience intéressante, au bout de trois mois j’avais envie de repartir. J’avais attrapé le virus de l’expatriation. De toutes les façons cette usine a fermé deux mois après mon départ, pas de regrets.

J’ai donc cherché un nouveau contrat, seulement pas question de demander à Sodexho car vu que je n’avais pas terminé mon premier contrat, bien que maintenant avec le recul et l’expérience, peut être aurais-je du les recontacter parce qu’à l’époque il y avait énormément de travail dans cette branche et pas tant que cela de volontaires. Mais je ne l’ai pas fait, regrets ? Oui un peu, mais à ce moment je n’avais pas toutes les infos nécessaires.

Enfin sur le journal de l’hôtellerie parait une annonce d’une société appelée Campotel qui cherche chef chargé pour l’Algérie. J’envoie ma candidature et reçois une réponse favorable pour un entretien à Versailles, à cette époque j’habitais toujours à Vannes. Me voilà dans le bureau des dirigeants Mrs Pidoux et Loviza, ces deux personnes étaient d’anciens cadres de Sodexho qui avaient monté leur propre compagnie de Catering, et donc j’apprends que ce qui a joué en ma faveur, c’est la lettre de remerciement que m’avait procuré le responsable des opérations de Fougerolles en Irak à mon départ.

1er séjour Bejaïa 120 H/J

Me voilà donc une nouvelle fois à Roissy direction Alger ou de là on doit me conduire à Bejaia ou Bougie du temps des colons. Après quelques heures de route dans de merveilleux paysages dont les fameuses gorges de Lakhdaria anciennement Palestro aux pieds du Djurdjura, j’arrive enfin dans la base vie. Cadre super dans une oliveraie bordée d’un Oued malheureusement à sec, petite base vie bien équipée, chambre individuelle correct. Je ne me souviens plus de l’endroit exact mais nous étions à quelques kilomètres de Bejaïa et à égale distance de la plage de Tichy. Je fais connaissance avec le responsable du chantier et mon personnel, ainsi que de l’acheteur qui assurait les approvisionnements. En effet cette base vie était ouverte depuis quelques mois déjà et fonctionnait avec cet acheteur et le personnel local, comme leur effectif devenait assez important ils avaient fait appel à un Catering. J’étais donc le premier « Camp Boss » de Catering. Seulement cet acheteur avait ses petites habitudes étant donné que rien n’était contrôlé, mais malheureusement pour moi n’étant pas au fait des disponibilités du marché ni des prix, je me suis fait arnaquer.

J’avais donc comme d’habitude quand on est chef chargé (chef chargé c’est une appellation qui signifie qu’en réalité vous faites toutes les taches et avez toutes les responsabilités d’un camp boss en plus de celles de chef de cuisine, mais pas le salaire. Au client on facture camp boss ou Catering manager peu importe mais on coute moins cher à la compagnie qui nous emploie. Business is business.) La responsabilité de la restauration soit petit déjeuner, déjeuner et diner, de l’hébergement soit entretien des chambres, bureaux, restaurant, sanitaire et la buanderie, lavage et repassage. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l’occasion d’avoir à faire faire toutes ces tâches ménagères à des hommes, mais c’est carrément la galère.

Enfin après quelques jours d’adaptation on a réussi à avoir un bon rythme. Je vous assure que mes journées étaient bien chargées debout aux aurores pour le PDJ, ensuite mettre en route les repas du midi et du soir, contrôler le travail des employés de l’hébergement, réceptionner les marchandises etc…Le vendredi jour de repos des clients on avait pris l’habitude de faire un buffet froid pour le diner, cela me permettais de lever un peu le pied. Le jeudi soir avant d’aller me coucher je mettais dans la sauteuse une cuisse de bœuf entière et elle braisait tranquillement toute la nuit si bien qu’elle était à point pour être servie froide sur le buffet. Je dois avouer que mon buffet du vendredi était très apprécié de mes clients avec lesquels j’avais d’excellentes relations, du moins avec la majorité, aussi bien souvent nous sommes allés ensembles à Bejaïa, mais aussi nous baigner à Tichy.

Seulement malgré toute ma bonne volonté je n’arrivais pas à faire ma « gestion » au jour le jour et j’ai hélas pris du retard, or s’il y a un truc important pour les compagnies de Catering c’est bien le PRJ (Prix de Reviens Journalier) et le calcul des Homme/Jour, puisque souvent leur rémunération est basé sur ces critères ou selon le type de contrat sur un forfait journalier, donc on ne doit pas dépasser l’objectif de leur marge. J’ai pris du retard pour deux raisons, manque de temps et surtout parce que l’acheteur ne me remettais pas les factures régulièrement. Mes employeurs mis au courant de mes difficultés ont décidé de m’envoyer de l’aide en la personne d’un « camp boss » qui travaillait avec eux du temps de Sodexho, un mec sympa au demeurant avec lequel je me suis bien entendu, il m’a bien aidé dans les taches journalières mais on a pas mieux avancé sur le PRJ. Il faut préciser que lorsque j’ai fait part de mes difficultés nous avions atteint un effectif journalier de 120 personnes et donc nous n’avions pas plus de temps car moi j’étais plus pris à la restauration et lui à l’hébergement.

Il faut dire que malgré cela nous avions gardé notre habitude du vendredi, d’aller faire un tour a Bougie boire un verre et certains d’aller chez Zouzou (le bordel du coin). D’autres fois nous allions à la plage ou d’ailleurs j’ai failli me noyer, j’ai cru que j’allais me retrouver à Marseille, c’est un des gars plus grand que moi qui m’a chopé au moment de flux et m’a tiré vers le bord.

Enfin mes trois mois sont passés et je suis rentré en France. Comme il est de coutume dans les compagnies de Catering dès l’instant qu’on a la responsabilité d’une opération on doit se rendre au siège faire son rapport sur notre activité, expliquer ce qui ne va pas, pourquoi on n’a pas fait ceci, cela etc. Et c’est là que l’on sait si on continue ou si on nous remercie. Je me présente donc au siège à Versailles et de nouveau face au duo, bien entendu j’ai eu droit à : votre prestation a été loin de ce qui était dans votre lettre de recommandation….J’ai eu beau expliquer le pourquoi du comment, le PRJ n’était pas respecté ils n’ont rien voulu entendre et on m’a remercié et bien entendu pas payer ma prime d’objectif.

Me voilà donc à la recherche d’une affectation, n’étant qu’à ma deuxième expérience je ne connaissais pas tous les arcanes de la profession, mais je me suis souvenu de mon séjour en Irak. Lorsque je suis arrivé sur l’opération je venais remplacer le camp boss de CIR et nous avions discuté de choses et d’autres et il m’avait conseillé si je cherchais du boulot de m’adresser à la CIR, que c’était une bonne compagnie. Je suis donc retourné à la poste consulter l’annuaire des entreprises (internet n’existait pas encore) et j’ai envoyé ma candidature. Il faut savoir qu’a cette période c’était l’âge d’or du Catering, j’ai donc eu une réponse rapidement, j’ai reçu un coup de téléphone du directeur du personnel qui me proposait de retourner en Algérie, j’ai accepté et je suis parti à Marseille avec ma valise puisque le jour même je devais m’envoler pour Alger.

Avant d’arriver à mon deuxième séjour en Algérie, il faut que je vous parle des salaires. Dans ces années que j’appelle l’âge d’or, les salaires était très bons par rapport au cout de la vie et au smic. Il se décomposait comme suit, un salaire fixe, une prime d’expatriation variable en fonction du pays (difficultés, risques etc..) mais elle aussi payée mensuellement. Puis une prime payable en fin de contrat aux conditions que l’on ait premièrement terminé son contrat, atteint l’objectif de gestion que l’on vous a donné au départ, et enfin que la feuille de satisfaction mensuelle du client ait été bonne.

A cette époque on atteignait facilement si toutes les conditions étaient remplies environ 15000 francs, par la suite la situation s’est dégradée du fait qu’il y a eu en France une période de fort chômage, et que ceux qui cherchaient du boulot cassaient les prix puisque certains acceptaient de venir pour 5000 balles primes d’expatriation comprise, on a du donc s’aligner un peu bien que l’on ait eu  de l’ancienneté, si on voulait avoir des contrats. Puisqu’à chaque fois on signait un CDD de trois mois. La situation c’était retourné à l’avantage des compagnies puisqu’il y avait plus de demande que d’offre alors qu’à mes débuts c’était le contraire on pouvait négocier des salaires plus importants en restant malgré tout dans les limites du raisonnable, autrement il était possible que cela marche une fois parce que la compagnie avait le couteau sous la gorge mais après…

Lorsque je suis revenu travailler pour une compagnie Française de Catering plus tard en 1993, chez CIS pour tout dire je me suis retrouvé à gagner ce même salaire que je percevais dans les années 80.

2eme séjour Bordj-El-Kiffan 150 H/J

Mais partons pour Alger. Ce qui change de ma première visite en Algérie, c’est que CIR est bien organisée, d’abord le superviseur de la région d’Alger Mr B…vient me chercher à l’aéroport, ensuite il existe une antenne de CIR avec un directeur de pays et plusieurs superviseurs pour les régions, tous vivent dans une villa aux frais non pas de la maison mère, mais bien sur le dos des opérations, cela je le développerais plus loin vu qu’à mon arrivée j’ignorais tout cela. Donc mon superviseur m’amène sur la base vie à Bordj-el-Kiffan ex Fort de l’eau, bien sûr la base ne se trouve pas dans la ville mais à quelques kilomètres du centre dans une orangeraie donc après les olives me voilà parmi les orangers.

Petite base très sympa, de même que les clients, enfin pas tous parce que pendant trois mois les Portugais d’origine vont me créer des problèmes avec le casse-croute qu’ils emmenaient sur le chantier. En gros ils auraient voulu des sardines tous les jours, par la suite j’ai souvent rencontré ce problème spécialement chez Bouygues. Mais à part cela je n’ai jamais eu de problèmes avec mes clients. Je ne vais pas vous raconter en détail mes journées, d’abord parce que je ne m’en souviens pas précisément et ensuite ce serait fastidieux. Il faut savoir que mes journées commençaient par la préparation du PDJ, puis contrôle du nettoyage des chambres et sanitaires, ensuite après le repas de midi à effectif réduit puisque la grande majorité des ouvriers mangeaient sur le chantier qui se trouvait assez loin de la base pratiquement à l’entrée d’Alger, il ne me restait que les administratifs et ceux de la maintenance, d’ailleurs je me souviens très bien de l’un deux un mec super sympa qui s’appelait Garcia, un pied noir qui justement avait vécu à cet endroit et qui m’a raconté plein d’anecdotes sur fort de l’eau.

 Ce dont je me souviens surtout c’est de son désespoir pour les orangers dont l’état ou ils étaient le désolait,  et de voir ces si petites oranges. Il me disait : autrefois on avait deux récoltes dans l’année et des fruits deux fois plus gros que maintenant. Avec lui j’allais souvent le soir après le boulot trainer à fort de l’eau, il me disait ici habitait untel… là il y avait ceci…etc. Un soir nous nous sommes arrêtés dans un des nombreux bistros de la rue principale, et quelle surprise pour lui de retrouver derrière le comptoir un ancien copain d’enfance, nous avons fait l’apéro avec lui et d’autres clients avec qui nous sommes devenus ami et de fait souvent nous ne mangions pas à la base, et dès que j’avais fini mon service on allait faire l’apéro avec la kemia.  La kemia c’est un peu comme les tapas en Espagne, des choses qu’on grignote avec le pastis, genre calamar, crevettes, olives de différentes préparations etc. Un soir le patron me propose des crevettes, la belle crevette d’Algérie rouge, la royale comme ils l’appellent, seulement celles-ci étaient crues, je lui dis : t’es pas bien elles sont crues, je suis breton et on mange jamais les crevettes crues. Il rigole et me répond : mais si goute tu vas voir juste un filet de jus de citron dessus. Moi par politesse et par curiosité je me lance et là la révélation, c’est encore meilleur que cuite avec un petit gout de noisette, à compter de ce soir-là je n’ai jamais mangé ces crevettes que crues, il faut dire qu’elles étaient toujours fraîchement péchées du matin.

Une autre découverte culinaire que j’ai faite avec mon ami Garcia c’est « Bouzelouf » la tête de mouton grillée, surprenant au premier abord mais quel délice comme elle était préparée dans les restos de Bordj-el-Kiffan, au feu de bois avec un mélange d’épices et l’huile d’olive. De même j’ai employé souvent pour ma cuisine le « smen » ou beurre clarifié à base de lait de mouton ou de chèvre. Smen est le nom maghrébin du beurre clarifié. Il est parfois incorrectement qualifié par les Européens de beurre rance. Le Smen est une graisse traditionnelle utilisée couramment dans la cuisine d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. On l'utilise aussi bien comme beurre de cuisson dans les couscous et les tajines que comme beurre à pâtisserie. Le Smen a une odeur très forte, facilement reconnaissable par les connaisseurs. Le Smen, salé peut être conservé durant plusieurs années. Un gout de rance sympathique qui donnait un plus aux ragouts.

Parlons maintenant des approvisionnements, pas toujours facile mais c’est ce qui fait le charme du Catering, il faut être débrouillard et ne pas attendre que cela vienne. De plus ce n’est pas sur toutes les opérations que nous avions un véhicule à disposition et encore plus rarement un véhicule réfrigéré. Bien souvent il fallait quémander une voiture au client pour aller faire les achats. L’Algérie après son indépendance à fait venir les russes qui ont mis en place les mêmes concepts que chez eux, à savoir kolkhozes, magasins d’état et d’autres choses encore, bref presque tout était aux mains de fonctionnaires, à mes débuts en Algérie le système était encore très lourd, cela s’est arrangé par la suite, seulement notre client ayant un contrat avec l’état nous étions obligés de nous approvisionner auprès des magasins d’état, ou entreprises nationales.

Mais cela n’est pas encore mon propos car étant nouveau je ne connaissais pas encore tous les bons endroits et donc j’étais obligé de passer par l’agence CIR qui avait monté un bon service d’approvisionnement. Dire que l’on payait moins cher serait faux, mais ils nous approvisionnaient directement pour certains produits ou nous indiquait ou aller pour acheter. Avec le temps j’ai fini par savoir ou m’approvisionner par moi-même. A cette époque il n’y avait presque pas de viande de bœuf ou mouton sauf quand il y avait un arrivage dans les établissements nationalisés des surplus de l’Europe, alors là il fallait stocker beurre, mouton et bœuf car c’était à un prix très attractif, car autrement le peu que l’on pouvait acheter au souk el fellah, le marché des paysans était beaucoup plus onéreux et notre PRJ en prenait un coup.

Seulement ces arrivages n’étaient pas réguliers et souvent nous étions limités dans les quotas que nous avions puisqu’ils devaient fournir aussi les magasins comme « les nouvelles galeries » ou par ailleurs il n’y avait jamais grand-chose de potable à acheter. Je me souviens des boites de macédoines de légumes produites par les usines d’état, quand vous ouvriez la boite il y avait la moitié d’eau et le reste se limitait à quelques carottes et navets, on les achète une fois et c’est tout. Par la suite il y a eu des entreprises privées qui vendaient de bons produits. D’où mon problème avec les Portugais et leurs sardines en boite.

A l’occasion de cette première expérience dans la région d’Alger j’ai découvert l’autre business de l’agence, le cheval et le sanglier. Vu que le bœuf était rare on devait se rabattre sur le cheval, qui lui était abondant et bon marché du moins si on négociait directement avec Mr Baty. Ah ! Mr Baty, un pied noir qui était resté après l’indépendance et qui avait monté un business de découpe et de livraison de viande de cheval, il avait su profiter de l’explosion des grands chantiers qui poussaient un peu partout dans le pays, écoles, routes, etc.. Et il livrait sa viande dans tout le pays, par avion même pour les bases du sud, et je peux vous dire que les camps boss de ces bases étaient souvent déçus par ce qu’ils recevaient, car n’étant pas sur place ils ne pouvaient choisir leurs morceaux.

 Alors même si ils précisaient ce qu’ils voulaient, ils recevaient plutôt les avants dont sur les bases d’Alger et alentours on ne voulait pas, et comme nous étions sur place on pouvait refuser si cela ne nous convenait pas. Tandis que le pauvre mec perdu dans le désert, lui il pouvait seulement accepter ce qu’on lui envoyait et parfois dans un état, car la viande était tassée dans des caisses d’oranges et il n’y avait pas de conteneur isolé dans l’avion. Lors de mon séjour je ne connaissais pas encore Mr Baty et je passais par l’agence. Son second coup de génie c’était le sanglier, comme il n’y avait pas de porc, nous étions bien entendu preneur de viande de sanglier. Cet homme ayant des relations très haut placées il organisait des chasses en Kabylie ou le sanglier et en grand nombre et donc nous vendait sa viande. Il nous faisait aussi des saucisses et même du pâté, cela bien entendu nous permettais d’améliorer l’ordinaire.

De même nous était fourni par l’agence, le vin et les alcools et bien entendu à un prix au-dessus de ce que nous aurions payé si nous achetions nous même, seulement le règlement était que nous devions faire vivre l’agence, alors du moins au début c’est ce que nous faisions. Une fois toutes les deux semaines notre superviseur passait pour contrôler notre camp et notre gestion, contrôle des stocks, des documents de gestion et discutait avec l’interlocuteur du client pour savoir si celui-ci était satisfait de notre prestation. Cela était très important pour nous car cela conditionnait notre prime de résultat que nous devions toucher en fin de contrat.

Apparemment mon séjour avait  été apprécié et je suis rentré après mes trois mois. Lors de mon passage à la maison mère j’ai de nouveau rencontré le directeur du personnel qui m’a félicité pour mon travail et promis que l’on ferait de nouveau appel à moi. Effectivement trois semaines après mon retour à la fin de ma période de congés payés j’ai reçu un appel me demandant de descendre à Marseille pour un départ immédiat en Algérie. Content, Patrick de retrouver Bordj-El-Kiffan.

3eme séjour Guelma 100 H/J